« Pourquoi tu ne manges pas »
Ca paraît si simple de manger. Et pourtant, pour ces personnes souffrant d’anorexie, c’est un enfer. Elles entendent en permanence cette phrase, « mange », et plus on leur dit, moins elles le font. Mais pourquoi ? Comment peut-on en arriver là, à se laisser dépérir, à perdre le plaisir de manger, à se laisser envahir pas cette peur?
Car, pour ces personnes, manger = grossir. Or, « je ne veux pas grossir, alors pourquoi manger ? » Ca semble déjà un peu plus compréhensible… Et puis, ne sommes nous pas perdus, nous qui ne souffrons pas d’anorexie, avec toutes ces informations contradictoires sur l’alimentation que l’on peut lire ou entendre ?
La peur fige, elle empêche d’avancer. Il est plus prudent quand on a peur de quelque chose de ne pas trop s’y confronter, c’est plus facile pour nous. La peur nous protège aussi en cas de danger. Le patient est donc en permanence dans un état d’hypervigilance, comme si le danger rôdait en permanence. C’est la peur d’un aliment au départ, puis un autre, et s’en suit toute une cascade d’aliments qui disparaissent du paysage, tous associés à la peur et donc au risque de prendre du poids, sans fin…sans contrôle… Il n’y a plus de rationalité possible. « N’ayez pas peur ». Si seulement…
Il est souvent difficile pour l’entourage du patient de comprendre ce qui se passe en eux. En voulant aider, en proposant des aliments, en faisant à la place de, c’est l’effet inverse qui se produit. Le patient se retrouve encore plus enfermé dans son fonctionnement. Car c’est ça qu’il faut comprendre dans l’anorexie mentale.
Ça n’est en aucun cas un manque de volonté de la personne.
L’anorexie empêche la personne d’agir, de faire ce qu’elle souhaiterait faire, même si elle sait au fond d’elle-même exactement ce qui serait bon pour elle.
L’anorexie est un bloc dur et froid qui immobilise la personne. Il faut trouver ou créer la petite brèche dans ce bloc de glace pour voir ce qu’il y a derrière. Et que peut-on y trouver ? Souvent, une personne au final pleine de souffrances, pleine d’envies. Une personne qui à travers son regard envoie de la joie et de l’espoir, qui n’en peut plus et qui veut juste pouvoir exister. Une personne qui rêve d’être normale, de pouvoir simplement savourer des moments qui paraissent si simples aux yeux des autres. Pouvoir goûter ce qu’on a cuisiné pour les autres. Pouvoir partager ce dessert sans avoir toute cette culpabilité atroce qui arrive ensuite. Car chaque bouchée « de trop » entraîne une escalade d’insultes à l’intérieur de la personne. Son esprit est envahi de négatif et d’injures.
Alors à quoi bon provoquer cet état si difficile à vivre ? Car pendant que la personne vit une vraie torture à l’intérieur d’elle-même, elle doit en même temps faire « comme si ». Elle est seule. L’anorexie a encore pris le dessus. Chaque repas devient un combat. Et combien avons-nous de repas par semaine ? Beaucoup ! Et ça revient en permanence. C’est un cycle infernal. Pas le temps de s’adapter, l’anorexie déteste s’adapter, elle hait le changement. Elle préfère que tout soit figé. Alors la personne installe des rituels pour manger, qui rassurent, mais qui inquiètent l’entourage. Et pourtant, ces rituels sont parfois très importants, c’est ce qui peut permettre au patient de manger, sans avoir l’esprit encombré…Ca n’est donc pas un combat qu’il faut mener contre l’anorexie mais une compréhension de ce qu’elle pense afin de pouvoir commencer une négociation intérieure pour amener confiance et sécurité.
Voilà pourquoi il ne suffit pas simplement de « manger pour aller mieux ». C’est bien plus complexe que ça…
A tous les patients que nous avons pu suivre au sein de la note bleue, à ceux que nous suivons encore, à ceux qui sont juste passés un jour, et à ceux que nous suivrons demain, gardez espoir, car on en sort.